Martin LUTHER, à l’origine de la Réformation protestante…

Le 31 octobre 1517 est la date généralement retenue par les spécialistes pour définir les débuts officiels de la Réforme dans le cadre de l’Histoire. C’est en effet ce jour-là que Martin LUTHER s’est décidé à afficher sur la porte de l’église du château de Wittenberg ses fameuses 95 thèses, affirmations théologiques par lesquelles il s’oppose ouvertement aux nombreux abus de l’autorité pontificale et propose en échange une réforme radicale de l’Eglise. Mais comment en est-on arrivé là ?

1. Les causes de la Réforme

Un faisceau de divers éléments peuvent expliquer l’émergence de la Réforme.

  • Au seuil du XVIème siècle, le monde se trouve en totale transformation :
    • Politiquement, Charles-Quint, François Ier et Henri VIII dessinent déjà les contours de l’Europe moderne.
    • Socialement, la bourgeoisie s’émancipe au niveau des villes.
    • Scientifiquement, des inventions (mécanisation de l’imprimerie en 1440 par Gutenberg) et de grandes découvertes ( Amérique par Colomb en 1492) bouleversent le quotidien de l’homme.
    • Artistiquement, la traditionnelle référence à Dieu est peu à peu marginalisée ; nous sommes en pleine « Renaissance».
    • Sur le plan spirituel, une question lancinante hante la pensée du peuple : « Comment être sauvé ? ». L’époque en effet est gangrenée par les épidémies, les guerres, la sorcellerie, les difficultés de la vie…et le clergé se montre incapable de répondre valablement à cette angoisse spirituelle.
  • Dans le domaine ecclésiastique, les scandales répétés des dignitaires (luxe, immoralité, corruption et ambitions temporelles, ignorance affligeante du bas clergé) suffisent à discréditer une Eglise catholique qui semble figée.
  • Du point de vue philosophique, le XVIème siècle verra l’éclosion d’un mouvement intellectuel initié en Italie par Pétrarque (1304-1374) et à qui Erasme (1469-1536) donnera une impulsion déterminante : l’humanisme. Il s’agit de mettre en valeur les qualités intrinsèques de l’homme en minimisant l’impact de Dieu. Les humanistes prônent un retour aux sources (les écrits originaux, par exemple) : foi et raison ne sont plus confondues ; l’esprit positif l’emporte sur le mysticisme ; l’homme peut de par lui-même prétendre à l’harmonie.
  • D’autres tentatives de réforme avaient déjà essayé avant le XVIème siècle de dénoncer les dérives de l’Eglise catholique en remettant en lumière les vérités essentielles de la Parole de Dieu mais ces tentatives ont toutes été sévèrement réprimées. Cependant elles ont probablement préparé un terrain propice aux revendications de Martin Luther.Ces témoins fidèles furent surnommés les pré-réformateurs : Pierre Valdo (1140-1217 / France) ; John Wycliffe (1324-1384 / Angleterre) ; Jean Huss (1369-1415 / Bohème, Tchéquie) ; Jérôme Savonarola (1452-1498 / Italie) Jacques Lefèvre d’Etaples (1450-1536 / France) ; …

2. L’action de Luther

C’est dans ce contexte particulier que naît à Eisleben en 1483, celui qui est salué aujourd’hui comme le maître à penser d’un mouvement ecclésiastique réformateur : le protestantisme. Issu d’une famille de paysans saxons, il étudiera le droit et entrera en 1505 au couvent des Augustins à Erfurt où il se consacrera à deux recherches prioritaires dans sa vie :

  • une vie monacale passionnée: préoccupé par l’idée ambiante du salut, il s’astreint régulièrement à de sévères mortifications et privations.
  • l’étude biblique systématique: Docteur en théologie, il obtient en 1513 la chaire d’Ecriture sainte à l’Université de Wittenberg.

Vers 1515, il se met à commenter l’épître aux Romains où son attention est attirée par deux versets qui vont transformer toute sa pensée :

« Car je n’ai point honte de l’évangile : c’est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec, parce qu’en lui est révélée la justice de Dieu par la foi et pour la foi, selon qu’il est écrit : Le juste vivra par la foi. » (Rom.1.16-17)

Suite à cette révélation, Luther comprend que le salut ne dépend aucunement de quelque œuvre de l’homme mais qu’il est un don gratuit que Dieu accorde à tous ceux qui se repentent et qui croient.

A la même époque (1515), le dominicain Tetzel (mandaté par le pape Léon X) parcourt l’Allemagne en vendant des indulgences supposées accorder aux acheteurs (qui s’endettaient) le pardon des péchés et la garantie d’un salut éternel mais en réalité le produit de ce trafic était destiné au financement de la basilique Saint Pierre à Rome… Ce marchandage éhonté épouvante Luther qui réagit publiquement en affichant le 31 octobre 1517 sur l’église de Wittenberg 95 thèses pour manifester son opposition à de telles pratiques. En voici deux particulièrement explicites :

  • 27 : Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu’aussitôt que l’argent résonne dans leur caisse, l’âme s’envole du purgatoire. 
  • 67 : Les indulgences dont les prédicateurs prônent à grands cris les méritent, n’en ont qu’un : celui de rapporter de l’argent. 

Ce manifeste par lequel Luther espérait provoquer un simple entretien théologique et une profonde remise en question de l’Eglise catholique a produit une réaction opposée et suscité les pires ennuis à son auteur. Appelé à s’expliquer devant les autorités ecclésiastiques, Luther sera confronté successivement à Augsbourg avec le légat pontifical Cajétan et à Leipzig, avec le théologien Eck : il est sommé de se rétracter sans aucune discussion !

Luther refuse d’obtempérer. La réaction est immédiate : en 1520, le pape Léon X lance contre lui une bulle d’excommunication que le réformateur brûle aussitôt en public à Wittenberg ! Le 3 janvier 1521, la rupture est consommée et Luther chassé.

Cette exclusion l’enhardit davantage dans ses convictions et ne l’empêche pas de rédiger trois autres manifestes clairement anticléricaux :

  • A la noblesse chrétienne de la nation allemande (contre la suprématie romaine)
  • La captivité de Babylone (contre les 7 sacrements)
  • De la liberté du chrétien (contre l’Eglise catholique)

Outre sa mise à l’écart de l’Eglise, Luther subira une seconde condamnation tout aussi lourde de conséquences : cité par l’empereur Charles-Quint devant la diète d’empire réunie à Worms en 1521, il est une nouvelle fois sommé de se rétracter.

Cependant Luther confirme devant princes et seigneurs réunis, l’autorité suprême de la Parole de Dieu :

« Si l’on ne me convainc pas par le témoignage de l’Ecriture ou par des raisons décisives, je ne puis me rétracter. Car je ne crois ni à l’infaillibilité du pape, ni à celle des conciles car il est manifeste qu’ils se sont souvent trompés et contredits. Ma conscience est liée à la Parole de Dieu. Je ne puis et ne veux rien révoquer car il est dangereux et il n’est pas juste d’agir contre sa propre conscience. Que Dieu me soit en aide ! Amen. »

Luther est alors condamné au ban de l’empire, c’est-à-dire qu’il est considéré comme « hors la Loi », ce qu’il demeurera jusqu’à sa mort, de 1521 à 1546 ! Il est alors « enlevé » pour être protégé et caché (sous le nom de Chevalier Georges) au château de la Wartbourg (près d’Eisenach) par le prince électeur de Saxe, Frédéric le Sage qui prend fait et cause pour le banni. Luther profitera de cette « prison dorée » pour débuter la traduction de la Bible en allemand (NT en 1522 et AT en 1534), ce qui fera de lui un des pionniers de la langue allemande moderne.

De retour à Wittenberg en mars 1522, il se mariera en 1525 avec Catherine de Bora dont il aura 6 enfants. Il n’exercera plus de ministère public (vu ses condamnations) mais développera une grande activité littéraire pour :

  • Continuer son combat spirituel contre l’Eglise catholique soutenue par les pouvoirs politiques en fixant les éléments essentiels du culte évangélique dans un traité intitulé La Messe allemande.
  • S’opposer aux révoltes sociales contemporaines : il défendra la position des seigneurs allemands dans la guerre contre les paysans (1525)
  • Lutter contre les déviations de quelques illuminés dont les anabaptistes
  • Apporter une éducation spirituelle au peuple ignorant : il rédigera deux ouvrages importants en 1529 : Grand catéchisme et Petit Catéchisme.
  • Composer un grand nombre de chorals exprimant la foi vivante dont le plus célèbre commence par cette confession :

«  C’est un rempart que notre Dieu : si l’on nous fait injure, son bras puissant nous tiendra lieu et de fort et d’armure… »

3. L’influence de Luther

La réforme s’étend rapidement à travers l’Allemagne pour diverses raisons :

  • Spirituelles: la soif de vérité « épurée » de beaucoup faisant suite à une religion oppressante noyée dans un fatras de légendes de saints et de multiples dévotions étrangères au pur Evangile.
  • Politiques: l’opportunité de plusieurs princes électeurs allemands ne plus être soumis à la dictature vaticane ; opposition de mentalité latente depuis des siècles entre caractères germanique et latin.
  • Pratiques: le développement de l’imprimerie a permis la diffusion de la pensée et des écrits de Luther qui ont largement débordé l’Allemagne…

Néanmoins, l’opposition impériale est tenace :

  • 1526: Première Diète de Spire où les autorités accordent la liberté de religion aux princes et aux villes qui ont choisi la « nouvelle religion ».
  • 1529: Seconde Diète de Spire convoquée par Charles Quint tente d’abroger le décret de 1526 : cinq princes représentant plusieurs villes libres rédigent une pétition contenant ces mots désormais célèbres:

 « Chers Seigneurs, oncles, cousins et amis ; …si vous ne vous rendez pas à notre requête, NOUS PROTESTONS par la présente, devant Dieu, …que nous ne consentons ni n’adhérons …au dernier décret de Spire. »

NB : Ce serait l’une des origines du mot « protestants ». L’autre explication résiderait dans la signification étymologique du terme latin protestare : « témoigner devant ».

  • 1530: Diète d’Augsbourg au cours de laquelle Philippe Melanchton (1497-1560), conseiller politique du prince Frédéric le Sage, gagné par les idées de Luther, sera chargé de rédiger en vue d’une paix religieuse, une Confession de Foi définissant la doctrine officielle des « protestants ». Cette Confession d’Augsbourg devient la confession de foi fondamentale de l’Eglise luthérienne.
  • 1555: Paix d’Augsbourg, acte politico-religieux qui partage le territoire allemand entre luthériens et catholiques selon le principe que tous les sujets doivent adopter la religion choisie par leur prince-électeur selon l’expression latine « ejus regio, cujus religio », à telle région, telle religion ! Selon cette répartition, en 1555, les deux tiers du pays sont luthériens… Les pays nordiques sont rapidement touchés et deviennent rapidement luthériens à leur tour : Danemark, Norvège, Suède et Finlande.
  • Schématiquement le milieu du XVIème siècle présente une Europe divisée en deux entre pays latins du Sud (à forte majorité catholique) et pays saxons du Nord (à forte majorité protestante), préfigurant les guerres de religion qui vont ensanglanter notre continent durant plus d’un siècle…
  • Conclusion: Martin Luther a donc été, au sein de l’Eglise du XVIème siècle, l’élément détonateur de ce mouvement rénovateur connu aujourd’hui sous le terme générique de « protestantisme » mouvement spirituel aux multiples facettes…Mais Luther ne fut pas seul dans le renouveau spirituel. Parmi ses nombreux « successeurs » adeptes d’une foi renouvelée, citons :

Philippe Melanchton (1497-1560) ordonnateur de sa pensée ; Jean Calvin (1509-1564) ; Uldrich Zwingli (1484-1531) ; Pierre Viret (1511-1571) ; Guillaume Farel (1489-1565) ; John Knox (1505-1572) et, dans nos régions Guy de Brès, né à Mons et auteur de la confessio belgica en 1560.

4. Synthèse de la Réforme

Parmi toutes les revendications élaborées par les réformateurs ci-dessus, six thèmes majeurs leur sont communs et retiennent notre attention comme éléments fondamentaux constitutifs de la foi protestante :

  • Soli Dei Gloria ! Qu’à Dieu seul revienne toute Gloire et à aucun homme !-
  • Sola Gratia ! Seule la Grâce de dieu accorde le Salut, par Amour !
  • Sola Fides ! Seule la Foi justifie et pardonne l’homme devant Dieu !

NB : Luther affirmera à ce sujet que les œuvres sont utiles et nécessaires : il faut les pratiquer non pour être sauvé (vision catholique) mais parce que l’on est déjà sauvé (vision réformée) ; témoignage visible de la grâce et de la foi invisibles qui animent l’être humain devant son Dieu.

  • Sola Scriptura ! Seule l’Ecriture Sainte est l’Autorité en matière de foi !
  • Ecclesia reformata, semper reformanda ! L’Eglise réformée doit continuellement se réformer : ne jamais se reposer sur ses lauriers mais toujours se remettre en question au regard des Saintes Ecritures !
  • Sacerdotium universale ! Le sacerdoce universel des croyants instaure une place unique au sein de l’Eglise à chaque croyant selon ses capacités.

Pierre Blond